LE PATRIMOINE DANS LES EMIRATS ARABES UNIS
Quelles réalités ?
Les Emirats arabes unis sont toujours vus comme une vitrine d’opulence ; de l’opulence pétrolière notamment. Buildings insensés de grande hauteur, projets fous ou réalisations incroyables comme le fameux « palmier » de Dubai en pleine mer ou des piscines dans le désert ou des pistes de ski artificielles dans des lieux où la température est souvent autour des 30° C. Comment, dans ces conditions, pourrait-on parler de patrimoine, en particulier de patrimoine relativement ancien voire ancien ? Et pourtant ! Nous sommes allés y voir de plus près lors des Journées du Patrimoine de Sharjah en avril 2011.
Présentation générale des lieux
Sharjah est le troisième plus grand des sept émirats après Dubaï et Abu Dhabi, le seul à avoir des terres à la fois sur l’ouest (golfe Arabique) et sur l’Est (Golfe d’Oman).
Sharjah est une ville moderne qui a réussi à conserver son patrimoine.
Sharjah a été créé le 2 Décembre 1971. Sharjah couvre environ 2600 kilomètres carrés. En plus de la ville de Sharjah, situé sur les rives du golfe Persique, l’émirat dispose de trois provinces, sur le côte Est ; Dibba Al Hisn, Khor Fakkan et Kalba, plus les îles d’Abou Moussa et Abou Sir Nu’air. Sharjah est un proche voisin de Dubaï (environ 15 minutes en voiture du centre-ville de Sharjah à Dubai International Airport).
Sharjah a été couronnée par l’UNESCO, comme capitale culturelle du monde arabe en 1998 en raison de son engagement en faveur de l’art, la culture et la préservation de son patrimoine. En plus d’un golfe large renommée pour son excellence artistique, l’émirat dispose de plus de 15 musées, un aquarium … Sharjah est également devenue un centre important de l’éducation au Moyen-Orient.
Qui se soucie du patrimoine ou de ce qu’il en reste ?
Il existe un émirat, celui de Sharjah. Certes pas le plus connu (vous connaissez Sharjah)? Il se trouve que le dirigeant actuel de Sharjah, Dr Sultan Al-Qassimi, est un lettré. Un lettré qui a fréquenté de nombreuses universités européennes et a été nommé «docteur honoris causa » à plusieurs reprises. Cet homme est passionné de documents rares, cartes, objets de son histoire, etc. Il s’est donc préoccupé depuis longtemps du patrimoine de Sharjah. C’est ainsi qu’avec les revenus de l’émirat, non négligeables, il a su se constituer des musées tout à fait remarquables.
Sultan Al Qassimi
A tout seigneur tout honneur ! Il y a un bâtiment (presque un palais), le Dr Sultan Al-Qassimi Centre of Gulf Studies, qui regroupe les collections particulières du sultan qui ont été glanées parmi toutes les ventes possibles et imaginables du monde. On trouve là des cartes anciennes du XIVème et XVIème siècle concernant les émirats de l’époque. Vingt cinq ans de recherches qui reflètent bien l’histoire du Golfe et l’évolution des connaissances humaines. Ce que l’on peut voir là montre bien l’image changeante du Golfe sur les cartes incertaines de la fin du 15ème siècle jusqu’à la justesse atteinte au 19ème et au 20ème. On trouve ici la plus vieille carte du monde des Ptolémées imprimée en 1493. Rares photos du début du 20ème, images des forts portugais du 17ème, des aquarelles concernant les attaques britanniques de 1819, etc. Belle vitrine en vérité, assortie d’une rare collection de monnaies qui furent en usage dans les pays du Golfe.
Une des belles cartes anciennes
Collections privées du sultan
Il existe également le Musée de la Civilisation Islamique de Sharjah ouvert en 1987. Impressionnant bâtiment avec du marbre partout et un dôme typique de l’architecture islamique, remarquablement décoré d’une mosaïque portant les signe du zodiaque. Très beaux ouvrages de calligraphie, monnaies, plus de 5000 objets divers concernant la civilisation islamique.
Le Musée archéologique de Sharjah
On est ici dans une muséographie très réussie qui explore l’ancien passé de Sharjah à partir de l’âge de pierre. On savait peu de choses sur la préhistoire de cette région jusqu’aux fouilles des années 1950. Depuis, les archéologues ont bien mis en évidence un riche héritage de la Péninsule arabique remontant à 50000 ans. Beaucoup de ces découvertes ont été faites sur des sites dépendant de Sharjah, ce qui n’est pas surprenant en raison de ses côtes qui avaient des lagons, des mangroves et donc du poisson, des coquillages, des tortues…. Musée inauguré en 1997, toujours par le cultivé sultan Al-Qassimi. Une des galeries a un objectif pédagogique certain avec un module « Qu’est-ce que l’archéologie » ? Avec une bonne démonstration concernant une tombe de l’âge de pierre (4700 avant JC et site contenant les restes de plus de 500 individus à Al Buhais) qui fût une des plus importantes trouvailles des fouilles et très bien reconstituée. On peut admirer les restes d’un cheval entier avec son harnachement d’or datant de 2000 ans.
Le musée archéologique est incontestablement celui qui recense les plus grandes et diversifiées collections des Emirats. Ainsi, l’émirat de Sharjah, qui a su préserver une grande partie de l’héritage culturel, a, pour cette raison, été reconnu en 1998 par l’UNESCO comme une des capitales culturelles du monde arabe.
Il faut noter que le sultan Al-Qassimi a fait promouvoir en 1992 une loi sur la protection des antiquités, seule du genre aux Emirats et qui prévoit de l’archéologie préventive avant toute mise en œuvre de grands chantiers.
Avant de décrire ce qu’ont été les Journées du Patrimoine de Sharjah, du 4 au 18 avril 2011, notons que ce petit émirat possède aussi un musée maritime dans lequel on peut voir de nombreux « dhows », ces bateaux qui firent les beaux jours du commerce des épices notamment dans le Golfe, un extraordinaire musée de la calligraphie, un musée des sciences plus adapté aux enfants, un musée d’histoire naturelle bien conçu pour montrer l’environnement maritime et désertique de Sharjah. Insistons un peu sur le musée de l’aviation, l’Al Mahatta Museum. En 1932, les Imperial Airways de Londres inauguraient le vol IE184 Londres-Karachi et pour la première fois, un avion se posait aux Emirats, à Sharjah. Le musée a été construit à l’endroit exact de l’ancien aéroport. La tour de contrôle est toujours en plein centre ville et ce qui fût la piste d’atterrissage est encore une des avenues de Sharjah. Dans un grand hall, quelques avions de l’époque sont encore là et bien entretenus et veillent sur la cour rectangulaire contenant les anciennes chambres destinées aux équipages et aux passagers en escale à Sharjah. Presque rien n’a changé ici et ce n’est qu’en 1977 que le nouvel aéroport de Sharjah est entré en service.
Journées du Patrimoine : patrimoine immatériel essentiellement
Avec le développement exponentiel et la croissance folle des chantiers dans les Emirats Arabes Unis, on ne peut s’attendre à retrouver un patrimoine ancien bâti tel qu’on le connaît en Europe, en Amérique latine ou en Chine. Les côtes du Golfe Persique étaient désertiques et les nouveaux émirats sont construits sur le sable. Hormis donc quelques forts portugais du 16ème, quelques très rares maisons datant de la fin du 19ème, il n’existe pas de patrimoine.
En revanche, l’Emirat de Sharjah fait tout pour préserver son patrimoine culturel immatériel : chants, danses, artisanat. Pour combien de temps encore ?
Les Journées du Patrimoine de Sharjah (Heritage Days) auxquelles nous étions convié nous ont seulement partiellement convaincu. A Sharjah, on a réservé une partie de la ville, la Zone du Patrimoine, pour la présentation de ces arts et traditions populaires. On a fait de même dans d’autres parties de l’émirat, à Kalba par exemple sur la côte de l’océan indien. L’ambiance ressemble plus à ce que nous appellerions en Europe une kermesse (un moussem, en arabe). Danses de guerriers, chants traditionnels bédouins, chameaux et chevaux, faucons, irrigation par le puits, stands d’artisanat réalisés manifestement avec très peu de moyens mais tenus avec beaucoup de fierté et de gentillesse. Beaucoup d’enfants, femmes en retrait, hommes en tenue traditionnelle, tout cela est animé et attire les locaux. Les personnalités honorent les lieux de leur visite au pas de course, posent volontiers pour la photo, on boit du lait de chamelle et du thé à la cardamome…Tout cela est bon enfant et respire la sincérité voire même une certaine authenticité mais que deviendra ce patrimoine de tradition lorsque ces gens, souvent très âgés, que nous avons vus travailler « à l’ancienne » ne seront plus là ? Tout va tellement vite dans ces Emirats, à Sharjah comme dans les autres. Les énormes limousines de Dubai et Sharjah, les hôtels de super luxe, l’informatique, le commerce international, le pétrole, mais aussi les populations indiennes, pakistanaises et bangladeshis, auront probablement vite fait de balayer les traditions.
Malgré tout, on s’accroche et on est fier de présenter ses anciens modes de vie. C’est tout le mérite de la direction du Patrimoine de Sharjah de conserver et de faire vivre cet endroit si particulier de la capitale mais aussi des alentours. Un séminaire de deux jours était organisé pour tenter de comparer ce qui se fait à Sharjah à d’autres endroits comme le fameux festival de Tan-Tan au Maroc ou sur la place Djemaa El Fna de Marrakech. Une convention a d’ailleurs été signée entre Tan-Tan et Sharjah.
Quoiqu’il en soit, si pour une raison quelconque vous deviez aller à Dubai par exemple ou à Abu Dhabi, prenez le temps d’aller à Sharjah. Dans cette vie trépidante, entre embouteillages monstres et bruit, il y a des endroits tranquilles et intéressants. C’est encore à Sharjah que l’on peut encore voir ou deviner ce qu’a pu être le passé encore récent.
Georges LEVET
Remerciements à Abdulaziz Al Musallam, directeur des Journées du Patrimoine 2011 de Sharjah