UNE HISTOIRE DE LA GALERIE COLBERT
L’hôtel Bautru…
En 1634, Richelieu fait ouvrir la rue Neuve-des- Petits-Champs : il souhaite, à l’occasion de la construction du Palais-Cardinal (l’actuel Palais-Royal), aménager ces terrains rendus accessibles par la suppression de l’enceinte de Charles V, pour y loger ses familiers ou les proposer aux spéculateurs. Le premier hôtel de ce quartier nouveau, dit des Fossés-Jaunes, est celui de l’introducteur des ambassadeurs Guillaume Bautru de Serrant, un des favoris du Cardinal. Bautru fait édifier entre 1634 et 1637 un édifice situé à l’angle de la rue Neuve-des-Petits-Champs et de la rue Vivien (aujourd’hui Vivienne), la toute première réalisation du jeune Louis Le Vau, âgé alors seulement de vingt et un ans. L’hôtel, en pierre et moellon, avec son décor limité au rythme des piédroits à refends et à l’encadrement des ouvertures, est caractéristique de l’époque. Un portail monumental, se détachant sur un mur écran, met en valeur l’entrée donnant sur la rue des Petits-Champs. Organisé en U autour de la cour, le bâtiment se distingue par un subtil jeu de volumes : le corps de logis principal est encadré de deux hauts pavillons d’où partent en retour deux ailes en simple rezde- chaussée réservées au service. À l’arrière se trouve le jardin, bordé d’une galerie en retour ajoutée dès 1635 le long de la rue Vivienne
… devient l’hôtel Colbert.
En mai 1665, l’Intendant des finances et Surintendant des bâtiments du Roi Jean-Baptiste Colbert, à la recherche d’un logement à la hauteur de ses fonctions, achète l’hôtel Bautru pour la somme de 220 000 livres. Il demande à l’architecte Pierre Bréau d’adapter à ses besoins l’édifice bâti par Le Vau. Devenu entre temps architecte du roi, celui-ci est alors célèbre pour l’aménagement du Louvre et les plans du Collège des Quatre-Nations (l’actuel palais de l’Institut). Bréau conforte les fondations, agrandit l’espace habitable en surélevant les ailes et ferme la façade sur rue, donnant au bâtiment plus de sévérité. Colbert occupe aussi à partir de cette époque l’hôtel adjacent, construit en 1640 pour Claude Vanel, qu’il loue puis achète en 1678. Il acquiert du reste d’autres propriétés dans le quartier, pour y loger sa famille, y placer sa bibliothèque ou les louer. Après avoir été habité successivement par la veuve de Colbert, son fils aîné, et la veuve du maître des requêtes Rouillé de Meslay, l’hôtel change de fonction : les bâtiments sont rachetés en 1719 par Philippe d’Orléans qui, habitant le Palais-Royal, y loge ses écuries. Ils sont ensuite loués puis acquis par le Roi pour le bureau des Domaines. Après la Révolution, ils sont dédiés à la Caisse de la dette publique.
La galerie Colbert
Dans la première moitié du XIXe siècle, le quartier, profitant de l’animation des cafés, commerces et maisons de jeu du Palais-Royal, change de dimension : la rue Vivienne prolongée jusqu’aux grands boulevards assure désormais le lien avec ce secteur en développement. Il devient un des lieux privilégiés d’implantation des passages couverts, nouveaux espaces, à la fois publics et privés, offrant aux piétons des chemins protégés et aux marchands de nouveautés des vitrines. Les galeries Colbert et Vivienne constituent le premier maillon du réseau de passages qui relient le Palais- Royal au boulevard Montmartre. Sans raccourcir le chemin, elles permettent d’éviter les encombrements de la rue Vivienne, une des plus fréquentées de la capitale, ainsi que la boue et les crevasses qui sont alors courantes. C’est entre 1823 et 1825 que le notaire Marchoux fait construire, par le Grand Prix de Rome Jean-François Delannoy, une galerie joignant par un angle droit la rue des Petits- Champs à la rue Vivienne. Avec plus de 70 boutiques, la galerie Vivienne connaît un immense succès. S’inspirant de cette réussite commerciale, la société Adam et Cie projette en 1826 de construire, à l’emplacement de l’ancien hôtel Colbert, une seconde galerie doublant la galerie Vivienne.
… un triomphe architectural.
C’est l’architecte Jacques Billaud qui reçoit la mission de concevoir un ensemble susceptible de supplanter par sa splendeur la galerie Vivienne. Lorsque la galerie Colbert ouvre en septembre 1827, elle est louée pour l’élégance de son architecture. L’architecte a conservé en partie l’hôtel Colbert, notamment la façade, à laquelle il ajoute un étage et un portique. Comme Delannoy à la galerie Vivienne, il rythme le passage de colonnes et d’arcades, ornées dans le goût pompéien mis à la mode par Percier et Fontaine. Cependant, il crée un ensemble homogène et monumental qui contraste avec les espaces morcelés de la galerie Vivienne. En effet, pour pallier l’irrégularité du terrain, il conçoit une pente douce et varie l’ouverture des arcades afin de rectifier la perspective. Enfin, la galerie conduit à une rotonde beaucoup plus majestueuse que celle de Vivienne, où sont célèbrés les nouveaux matériaux, le verre et le métal. L’ensemble est éclairé au gaz par des globes en cristal dans le passage et par un étonnant luminaire en forme de candélabre dans la rotonde. Enfin, Billaud invoque la prospérité du ministère de Colbert en plaçant son portrait dans l’archivolte qui surmonte le porche d’entrée.
D’un succès commercial mitigé…
La galerie n’a jamais connu la réussite de la galerie Vivienne, comme en témoignent les tentatives du propriétaire pour séduire les promeneurs. Dès 1828, il fait percer un petit passage, dit passage Colbert, qui relie la galerie au passage des Deux-Pavillons, pour attirer la clientèle du Palais-Royal ; au début des années 1830, il organise des concerts dans la rotonde ; enfin, en 1832, il ouvre un Géorama, destiné à concurrencer le Cosmorama de la galerie Vivienne. Outre les marchands de mode et de parfum de la rotonde, la galerie accueille des cabinets de lecture et des commerces, notamment l’éditeur de musique Heugel, l’éditeur Michel Lévy – l’ancêtre des éditions Calmann-Lévy – ou encore le magasin de nouveautés, Au grand Colbert. Mais, après 1830, la fréquentation des lieux diminue, du fait de la baisse d’activité du Palais-Royal, où Louis-Philippe interdit maisons de jeu et prostituées, puis de la concurrence des grands magasins sous le Second Empire. À la fin du XIXe siècle, la galerie, occupée par l’éditeur de musique, les établissements Dormeuil, un bouillon et un garage, est désertée. L’entrée sur la rue Vivienne est condamnée et la rotonde détruite dans les années 1910. Au tournant du XXe siècle, le « coup de grâce du démolisseur » est invoqué.
… au renouveau de la galerie.
En 1974, l’intérêt nouveau porté à l’architecture du XIXe siècle conduit à l’inscription de la galerie à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques. La même année, la Bibliothèque nationale acquiert les bâtiments pour en faire l’annexe de ses locaux. Le passage est fermé au public en 1975, en attendant les travaux de réhabilitation devenus indispensables. En 1980, la Bibliothèque nationale lance à cet effet un concours, remporté par l’architecte en chef des Monuments historiques alors en charge du Palais-Royal, Adrien Blanchet. Après expertise, l’ensemble est jugé en trop mauvais état pour être restauré et en 1982, la galerie est démolie. L’architecte poursuit alors un projet de reconstruction à l’identique en utilisant les moulages des décors sculptés subsistants et en étudiant les gravures de l’époque. Cependant, il modifie l’aspect initial de la galerie : il dote le bâtiment d’une toiture à la Mansart, il ne reconstruit pas les logements qui surmontaient les boutiques intérieures, et il dispose au milieu de la grande galerie un bâtiment traversant, qui en coupe la perspective. Il supprime également le petit passage Colbert et relie, en accord avec l’architecte de la rénovation de la galerie Vivienne, les deux galeries au niveau de la rotonde. Le bâtiment qui rassemble les services de l’informatique et de l’entrée des livres de la Bibliothèque nationale, ainsi que des espaces d’exposition, une librairie et un auditorium, est inauguré en 1985.
À la suite du départ du département des imprimés de la Bibliothèque nationale de France, il est décidé, le 11 avril 1996, d’affecter la galerie Colbert à l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) qui rassemblera les établissements d’enseignement supérieur et de recherche en histoire de l’art et archéologie qui lui sont associés. Ce site sera également partagé avec l’École nationale du patrimoine (futur Institut national du patrimoine, INP). Un concours restreint est mené au cours du dernier trimestre de l’année 1999. C’est l’équipe d’architectes Dominique Pinon et Pascale Kaparis, formés auprès de Roland Simounet, et déjà reconnus pour leurs travaux d’aménagement au Louvre, qui est choisie. Les travaux, achevés au début de l’année 2004, ont conduit à une refonte générale de l’architecture du bâtiment qui permet d’y installer l’INP, l’INHA et ses partenaires : chacune de ces institutions est désormais accessible à partir d’un vaste espace d’accueil situé du côté de l’entrée de la rue des Petits- Champs et d’un nouvel escalier à éclairage zénithal distribuant l’ensemble des étages. La rénovation a également permis de révéler les arcades et le pavillon Est de l’hôtel Bautru, découverte archéologique qui fait converger le passé du lieu et son affectation présente.