PATRIMOINE DU PORTUGAL ET LA CRISE

Notre membre américaine, Clotilde Luce, publiait il y a quelque temps un article intéressant concernant le patrimoine, l’art de vivre et la crise au Portugal.
Nous vous le livrons ici.

« On est nuls en relations publiques! » s’exaspère Fernando. « Nous autres Portugais, on ne va jamais jusqu’au bout pour se vendre, pour créer notre image de marque » regrette-t-il. Ce professeur d’université envisage d’ailleurs de s’exporter à Dubaï, où il toucherait un salaire décent, enfin. « J’espère rentrer une fois par mois, pour voir la famille. »

L’économie portugaise va mal, et souffre d’une déficience en « branding », comprendre « capacité à se vendre ». Le Portugal a-t-il réussi à exporter une seule image instantanée, sa carte postale ? Un équivalent à la Tour Eiffel, la Grande Muraille, le Colisée…? « On ne sait pas se vendre! » se désole Fernando. Pourtant, le Portugal recèle des merveilles et vivre avec moins est devenu un art.

Devant le Palacio Pombal, magistrale enceinte haute Epoque en plein quartier historique de Lisbonne, aucun car de touristes, aucun guide déclinant l’importance du grand Monsieur le Marquis de Pombal – maître d’oeuvre de la reconstruction de Lisbonne, après le tremblement de terre de 1755.
On entend que le bruissement d’espadrilles de quelques hipsters hollandais, en bermuda Madras, sac à dos, lunettes et coiffures design de rigueur. L’entrée du Palais est gratuite. Une mini boutique propose un choix de livres et monographies excellents, originaux, locaux. Ici, aucune édition Taschen.
Les hauts plafonds ornés baroques, les sols, les fresques, sont en détresse. A l’étage, là où les parquets sont trop abimés, on pose du contre-plaqué: l’Art Minimaliste se fait pratique, et drôle. C’est l’association Carpe Diem qui investit ce temple du baroque. Ironisant sur l’état des lieux, au lieu de le dissimuler, on avance la beauté des mises en scène sans mécènes. Dans l’enfilade de salons vides, des installations d’artistes cohabitent avec une douce décrépitude. Une attitude face à la crise que l’on retrouve ailleurs au Portugal.

A Aveiro, la débrouillardise avant tout

En tout au Portugal il n’y a que sept Starbucks. A Porto et à Aveiro, « la Venise portugaise », il n’y en a pas du tout. En revanche, Aveiro possède une des merveilles de la débrouillardise, faisant du « moins » un « plus ».

Le musée d’Aveiro
Pascale Hamon/DR

Créé en 2011, le musée d’Arte Nova surprend. Dehors, des écoliers découvrent la ville en bateaux mouche pendant que d’autres font le circuit des maisons 1900, « style Nouille » – Aveiro est aussi la capitale de l’Art Nouveau au Portugal. On y entre pour un euro, on ne s’attend donc pas à sortir de là une heure plus tard en ayant tout compris de la lignée directe entre sciences, danse, grandes théories du siècle, et design -d’Eiffel à la robe « Delphos », cylindre de soie plissée avant-coureur des Miyake et Yamamoto, à la forme des palmes de nageur « biométriques » dernier cri, exposées en pièce maîtresse.
Budget oblige, l’exposition ne comporte qu’une dizaine de panneaux et quelques objets encadrés. Pourtant, l’exposition crée un tel impact esthétique et historique, plus réussi que devant des kilomètres de vitrines au Metropolitan. « De telles restrictions budgétaires nous obligent à être plus imaginatifs, » dit Francisco Providência, designer/concepteur de plusieurs ‘centres d’interprétation’ dont celui-ci. « Ca peut favoriser la créativité et on ose l’espérer, le développement d’un monde moins cynique! »

« Made in Portugal »

A Porto, l’art de vivre survit partout, avec un orgueil ‘made in Portugal’ plus en évidence qu’à Lisbonne. Partout, se moquant de la crise, les bars et restaurants sont meublés de vintage et d’humour: au Grand Hôtel de Paris, datant des années 1900, des photos de famille côtoient une installation de machines à écrire et de téléphones à travers le siècle. A l’étage, d’anciens couvercles de WC en bois sont accrochés comme chez un antiquaire chic.
« On arrive à tout recycler, sauf les hommes politiques! » dit Jorge. Psychologue, il est l’un des meilleurs danseurs de la mouvance Dançaólicos -« Danse-aholiques », ou accros à la danse. Depuis 2008, tous les mardis de 22h à 2h, une centaine de jeunes professionnels, chômeurs (« et même des fonctionnaires! » rigole Jorge) se retrouvent dans un bar branché de la rue da Galeria de Paris. « On aime beaucoup les danses de la Renaissance en France, les danses populaires russes, anglaises, et juives. Puisqu’on a la saudade dans l’âme, on trouve ça aussi dans les mazurkas » poursuit Jorge, tout en changeant de partenaire dans ce grand cercle de couples et de célibataires, sans que personne ne se tape dessus. Et dans lequel même un psychologue ose se montrer heureux. « Ce contact nous allège du stress de la période que nous traversons actuellement. »
Accoudés au bar, entre deux mazurkas et une caïpirinha, le regard se pose sur une enfilade de vieilles radios en bakélite, de statuettes et céramiques de mémère, jusqu’au plafond.

Exposer la crise

Au Portugal si on cherche, on trouve partout « l’esthétique en temps de crise » mais c’est à Lisbonne que notre quête s’achève, avec un petit sourire aux lèvres. Car, ironie du sort, c’est dans une banque que la déchéance économique, banale, brutale, et même tactile, vaut vraiment le détour.
Fastueuse, impressionnante, classée au patrimoine historique, l’ancienne banque donne quasiment sur la grande Place du Comerçio, la plus symbolique du pays. Sa démolition, illégale, était déjà bien avancée avant que la Ville ne l’arrête. En 2010, héritant des plafonds et murs cassés, avec un budget ne couvrant que l’essentiel pour ouvrir au public, le Musée de la mode et du design (MUDE) s’installe dans ces « restes »: plus de 2,600 m2 dont deux étages octroyés au musée.

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Cité de la Mode et du Design à Lisbonne

Fallait-il tout cacher pour en faire des salles standard, lisses comme des cubes blancs? Un autre esprit semble avoir guidé les architectes Ricardo Carvalho et Joana Vilhena, choisis pour le réhabiliter. Dans leur mise en scène génialement hors normes, l’attaque des marteaux piqueurs sur les murs est restée visible partout, la collection ainsi exposée sur fond non dissimulé d’une banque en détresse. Des mauvais calculs presque érigés en spectacle.

En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/au-portugal-l-absence-de-luxe-est-un-luxe_1267007.html#QRwsFeylYzFJFQf5.99

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