Les carrières de pierre d’Euville : elles ont fait Paris et bien d’autres endroits

La « fameuse » pierre d’Euville, fameuse par ses caractéristiques de pierre dure, a servi à construire de célèbres monuments dont l’Opéra Garnier en partie, l’Hôtel de Ville de Paris, le socle de la statue de la Liberté et bien d’autres, en France comme à l’étranger. L’extraction de cette pierre a été toute une aventure, technique et financière. Ce qu’il reste des carrières d’Euville est encore impressionnant à voir et devrait faire l’objet de futurs aménagements. L’AJP s’est rendue sur place en ce mois de mai 2015.

La Pierre d’Euville, histoire d’un mythe !

La Pierre d’Euville en Lorraine, est retrouvée dans de nombreuses capitales d’Europe et même … jusqu’à New York.

739 895 m3, c’est le volume total de pierre d’Euville et du bassin de Commercy livré à
Paris entre 1853 et 1890 (chiffres officiels de l’octroi de Paris), depuis la pose d’un
premier bloc dans l’entablement du petit Pont Neuf en 1853. Utilisée partout où on a
besoin de pierre dure, on retrouve la pierre d’Euville dans la construction de grands
édifices comme le Palais Garnier, la Gare de l’Est, l’Hôtel de Ville de Paris, le Louvre, le soubassement du Sacré-Coeur, la Sorbonne, le Grand Palais, même pour des galeries du métro. Et l’entablement du Pont-Neuf dès 1853. C’est d’ailleurs à ce moment que Félix Civet bâtit sa fortune.
Pour les carriers meusiens, l’Exposition Universelle de 1889 est un triomphe. Celle de
1900, avec la construction du Métropolitain, du Grand et du Petit Palais, marque la fin
d’une époque.
La pierre d’Euville, qualifiée de pierre dure par les ingénieurs des Ponts et Chaussée, est un calcaire à entroques, formé au Jurassique supérieur (- 161 à – 145 millions d’années). C’est une pierre résistant parfaitement à l’écrasement, non gélive et recommandée pour les soubassements. Elle sera supplantée progressivement supplantée par le béton. Elle est extraite des carrières d’Euville mais aussi d’autres alentour.

On est jamais mieux servi que par soi-même : la mairie d’Euville

Monsieur le Maire d’Euville, Alain Ferioli, a fort bien reçu l’AJP. Ayant compris tout l’intérêt de cette fameuse pierre, il était évident d’aller constater comment elle a été utilisée lors de la construction de la « délicieuse » mairie d’Euville. La décision de construire un hôtel de ville s’inscrit dans le contexte euphorique que connaît Euville à la fin du XIXème siècle. Tout semble sourire à cette petite commune dont certains alors n’hésitent plus à affirmer qu’elle est la plus riche de France !
Cette richesse, la commune la tire des loyers toujours plus élevés que lui verse le fermier des carrières communales. Grâce à cet argent qui représente 92% de son budget, la commune se lance dans un ambitieux programme d’investissement.

Après la construction de l’Eglise Saint Pierre et Saint Paul (1892) et la réalisation d’un groupe scolaire au hameau des Carrières (1896), le projet d’élévation d’un hôtel de ville est confié en 1900 à Henri Gutton, qui fait appel en 1903 à Eugène Vallin pour remodeler le projet de la façade principale, qui se voit dotée de baies, balcons et cheminées résolument Art Nouveau.
Vers 1905, on est en crise : grèves des carriers, baisse des revenus… La construction de l’hôtel de ville d’Euville s’inscrit dans ce contexte et le conseil municipal choisit d’en faire une véritable publicité pour ses carrières. Emile Gutton, ingénieur et architecte, rattaché à l’Ecole de Nancy et l’Art Nouveau est choisi. La nouvelle mairie est livrée en 1907 et c’est la pierre d’Euville qui est le matériau exclusif choisi pour la façade. Au fronton, on voit très bien les inscriptions « Ordre, Travail, Devoir, Justice » au lieu du traditionnel « Liberté, Egalité, Fraternité« , ceci en soutien de la municipalité aux maîtres carriers dans les conflits qui les opposent aux grévistes !
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Belles décorations intérieures (escalier, poignées de fenêtres Majorelle, vitraux de Gruber). Divers éléments de son mobilier (un bureau et une armoire à archives d’Eugène Vallin, ainsi que des luminaires réalisés un peu plus tard en 1910 par Louis Majorelle) sont également classés monuments historiques au titre objets depuis le 15 novembre 2000.
Seul bâtiment public de l’Ecole de Nancy classé Monument Historique. Incendie en 1994 mais fort bien reconstruit.

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Vitrail de Gruber à la mairie d’Euville

La pierre d’Euville qui a construit Paris !

Le mythe de la pierre d’Euville s’est construit sur ce que les historiens de Paris appellent le cycle haussmannien. Pendant un demi-siècle, les carrières du pays de
Commercy vont vivre au rythme de ce cycle haussmannien en fournissant une part important de la pierre nécessaire aux chantiers.
Entre 1853 et 1890, la société Civet fils et Cie livre 739 895 m3, extraits des carrières de Boncourt, Euville, Lérouville et Mécrin. Bâtie sur l’exploitation de ces carrières,
la fortune de Félix Civet s’est faite à Paris !
Pour l’édification du nouvel opéra voulu par Napoléon III, deux architectes se sont trouvés en compétition après de nombreuses sélections : Eugène Emmanuel Violet le Duc et Charles Garnier. Mais c’est le projet Garnier qui fut choisi pour sa modernité. Parmi les solutions techniques qu’il proposait, on retient le choix de la pierre dure d’Euville pour réduire l’épaisseur des murs porteurs autour de l’espace scénique, un choix qui déclencha de violentes controverses avec les carriers parisiens.
L’architecte Victor Horta, chef de file de l’Art Nouveau en Belgique, fut l’un de
ses plus célèbres promoteurs. Si, contrairement à une légende tenace, le socle de la statue de la Liberté, n’est pas en pierre d’Euville, la pierre d’Euville a été utilisée à New York notamment à la Gare Centrale et, tout récemment au Métropolitan Museum.

Les grands travaux : on aménage le territoire en pierre d’Euville

La décision de créer un canal entre la Marne et le Rhin (depuis Vitry-le-François jusqu’à Strasbourg puis presque aussitôt la construction de la ligne de chemin de fer Paris-Strasbourg va faire connaître les qualités de la pierre d’Euville (terme générique) aux ingénieurs des Ponts et Chaussées. C’est eux qui, les premiers, l’utilisèrent à Paris dans l’entablement du petit Pont-Neuf. Ces chantiers relancèrent l’exploitation de carrières souvent inactives depuis la Révolution.

La pierre d’Euville : d’abord un marché local pour le Duché de Lorraine.

Les carrières ont d’abord connu leur premier essor grâce aux séjours princiers à Commercy, des séjours qui bouleversent le paysage. Du cardinal de Retz au roi Stanislas, à Commercy, il s’agit de construire davantage.

Comme tous les industriels de l’époque, la société Civet, Crouet, Gautier & Cie se veut sociale. Elle met à la disposition de ses ouvriers carriers à Euville, un grand nombre de logements aérés et salubres, ainsi que des lavoirs, des buanderies, des petits jardins et même quelques champs à cultiver. Elle organise des Sociétés de
secours mutuels à Euville et dans ses principaux centres d’exploitation qui prospèrent rapidement pour servir des retraites aux plus anciens. Mais la Maison fait la distinction entre ses ouvriers : 1 800 en 1906 et ses employés, 90 à la même époque. Les employés ont accès au capital de l’entreprise, ils se répartissent entre eux 15% des bénéfices; de plus, ils sont affiliés à la Caisse nationale des retraites pour
la vieillesse…
Après la Première Guerre, les pierres dures de Meuse sont abandonnées au profit d’un nouveau venu, le béton. Les architectes comme Le Corbusier n’utiliseront plus que ce matériau que les ingénieurs maîtriseront de mieux en mieux en réalisant des économies substantielles. C’est ainsi que la pierre d’Euville disparait pour devenir un mythe.

Un site à découvrir ….

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Au cœur de la grande carrière, devant un front de taille exceptionnel, la halle des tailleurs de pierre, construite en 1922, sur 400 m2, une exposition est consacrée à la pierre de la vallée de la Meuse : L’exposition se prolonge dans les différents ateliers qui entourent la halle : forge, scierie, marbrerie… Elle est complétée par un parcours balisé qui permet de découvrir le site des carrières d’Euville (environ 1h 30 à pied). Nous avons été impressionnés par ces galeries abandonnées aux dimensions de cathédrales et où toute exploitation s’est arrêtée soudainement. Les outils des carriers sont encore en place et de l’eau ruisselle un peu partout.

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C’est ici que pendant la deuxième guerre mondiale, dès 1942, l’Organisation Todt emploie dans la Grande Carrière des prisonniers de guerre français (essentiellement sénégalais) pour la construction d’une usine qui s’étend dans plusieurs galeries. Le choix d’Euville s’explique autant par les galeries qui mettent à l’abri des bombardements que par la ligne de chemin de fer qui facilite l’approvisionnement des éléments de missiles V1 et V2 qu’elle doit produire. L’usine était inachevée au moment où les troupes américaines y sont entrées.

Et maintenant ?

Un projet de valorisation du site est en cours. L’endroit se prête magnifiquement à un Son et Lumière sur les façades des galeries et pourquoi ne pas faire quelque chose qui ressemblerait un peu à ce qui se fait aux Baux de Provence ? D’autre part, après une destruction du paysage pendant l’exploitation, le site s’est beaucoup revégétalisé. On trouve juste devant des orchidées, du thym, de l’origan…étonnant. Quelques animaux y trouvent des caches.
Actuellement, c’est le groupe Rocamat qui, ayant absorbé les anciens concurrents, est devenue locataire de la carrière d’Euville. Un site qui vaut absolument la visite, que l’on soit scolaire, ingénieur, architecte, promeneur…ou journaliste de l’AJP.

Georges Levet

***Note
Le sculpteur Modigliani et la pierre d’Euville

Modigliani a très peu sculpté car la technique l’épuisait et sa santé était très fragile. Comme il fouillait beaucoup dans les chantiers avec sa brouette, il a trouvé autour du chantier de construction du métro de Paris, plusieurs blocs de pierre d’Euville correspondant à ce qu’il recherchait. C’est ainsi qu’il a sculpté dans son atelier de la Cité Falguière en 1911, une série de têtes en pierre d’Euville. Sur le chantier du Sacré Coeur, il récupère des blocs de marbre de Carrare pour des têtes semblables à celles en Euville. Son voisin Constantin Brancusi (aussi CIté Falguière) l’initia à la sculpture

EXPOSITION À LA GRANDE CARRIÈRE D’EUVILLE

Une exposition sur 400 m2, présente dans l’atelier de taille de la Grande Carrière à Euville l’histoire de ces cinquante années qui firent naître le mythe de la pierre
Elle montre l’importance de cette carrière, l’évolution des techniques d’extraction et des moyens de transports mais aussi la dimension humaine de cette exploitation industrialisée et la vie sociale qui l’a accompagnée.

Ouverture au public tous les jours en juillet et août et les week-ends en mai, juin et septembre.
Entrée 4 €, gratuit pour les moins de 10 ans.
Visites de groupes commentées sur demande
Le café des Carriers dans la grande halle avec une terrasse propose restauration, consommations ….
Des sentiers de découverte, permettront de découvrir ce site immense des carrières d’Euville.
Hébergement sur réservation (03 29 91 33 16) à Villasatel (55) en lisière de forêt, à 5 minutes de Commercy.

CONTACTS :
Office de Tourisme
03 29 91 33 16
ot.commercy@wanadoo.fr
http://www.commercy.org

Presse : Martine CLAVEL 06 30 21 23 02
ccomm@ccomm.fr

[[NDLR : Cité Falguière est le domicile du rédacteur de cet article]]

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