L’aventure du vieux château de Gainville

En arrivant au Vieux Château, à Guainville, Nathalie Velin, propriétaire des lieux nous dit : « Regardez, ici, nous sommes encore en France mais là-bas, en face, c’est la Normandie ». Le duché de Normandie de l’époque. Effectivement, c’est le grand vallon qui délimite la « frontière ». Et cela est une bonne raison pour avoir probablement construit ici une véritable forteresse. Mais qui l’a commanditée ? Qui l’a occupée et pendant combien de temps ? Qui l’a fait détruire et pourquoi ?

Quoiqu’il en soit, Nathalie Velin en parle comme étant un petit Carcassonne ! Comparaison osée, certes, mais reconnaissons que l’emprise au sol est impressionnante pour l’époque.

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Le premier plan cadastral dressé

Et puis, quelle aventure que la découverte de ce site médiéval. Ayant acheté une maison en 2005 avec un terrain « forestier » adjacent, ce sont les enfants qui, en jouant dans le terrain découvrent des « pierres ». On s »active alors pour un premier débroussaillage et que découvre t-on sous la végétation envahissante ??? Voici la suite.

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Reconstruit à la fin du XIIe siècle, le Vieux-Château est situé à la pointe nord du département d’Eure et Loir. Dominant les rives verdoyantes et escarpées de l’Eure, il était autrefois situé aux confins du royaume de France et de l’ancien duché de Normandie, alors possession du Roi d’Angleterre. Les vestiges de la forteresse présentent des spécificités remarquables, le plaçant comme un témoin majeur de l’art militaire de la fin du XIIe siècle.
La taille de l’enceinte fortifiée, son homogénéité générale et la qualité de l’œuvre en font une construction Royale et non celle d’un seigneur local. D’un caractère innovant, doté de nombreuses particularités, son architecture l’apparente aux constructions anglo normandes. Le Vieux Château est l’unique forteresse anglo-normande en terre de France.

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Une des tours restantes

Fortifiée en bois aux alentours du début du XIe siècle par Ascelin Goel, vassal de Guillaume le Conquérant, la maison passa successivement à son fils Guillaume Louvel, à Simon d’Anet, également vassaux du Roi d’Angleterre. En 1192, Simon d’Anet mourut sans héritier, la forteresse en cours de reconstruction en pierre de taille, fut alors intégrée au royaume de France par Philippe Auguste. Entré dans les possessions du comte d’Evreux, le Château fut démantelé en 1378 par ordre de Charles V, suite aux nombreuses rebellions du propriétaire du domaine.

Véritable château de la Belle au bois dormant, la demeure endormie pendant plus de six siècles a été acquise par les propriétaires actuels en 2005. Après une première œuvre de mise en valeur et de sauvetage achevée, le Château est
classé Monument Historique depuis 2012, et de nombreuses manifestations font revivre le site.

Mais quel parcours ? Contrairement à nos amis anglais d’English Heritage que nous citons souvent en exemple, en France c’est encore bien souvent Clochemerle.

Vous venez de découvrir un site exceptionnel qui enrichirait fortement l’histoire ? Vous voulez savoir par quoi débuter dans vos travaux de tout début ? Pouvez-vous être aidé techniquement et financièrement ? Pouvez-vous bénéficier d’une subvention, même modeste ? Pouvez-vous motiver la presse locale ou nationale aux fins de venir au moins voir le site ? C’est non à toutes ces questions ou presque. Vos belles ruines sont presque à cheval sur deux départements ? Eh bien, ce sera donc une compétition entre les DRAC et/ou les Comités départementaux de tourisme. Vous souhaitez pouvoir « flécher » les lieux pour guider d’éventuels visiteurs ? Oui, peut-être mais on vous fera payer les petits panneaux bien peu visibles presque 1000 euros pièce ! Désespérant !

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Mais Nathalie et Philippe Velin ont de la suite dans les idées. Ils ont frappé à toutes les portes et certaines se sont malgré tout ouvertes. Toutefois c’est bien leurs bras, les outils de débroussaillage, les voisins complaisants et…des lamas qui font le travail de base.

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Pas question encore de réhabilitation mais d’abord comprendre, inventorier, fouiller si possible. Des arbres menacent de faire effondrer quelques beaux murs qui restent (les tours qui ont dû être superbes sont déjà tombées depuis longtemps). Travaux de sécurisation urgentissimes donc.

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Quant à la communication, les Velin s’y sont employés : communiqués aux journaux locaux ou nationaux, appels aux grandes associations du patrimoine que nous connaissons tous, informations données aux grandes émissions de télévision intéressées par notre patrimoine… « Oui, nous avons bien noté ; on vous rappellera« …

L’architecte des bâtiments de France est venu ; Jean Mesqui, grand spécialiste des châteaux de l’époque, a publié un ouvrage bien documenté. Un plan a été dressé, démontrant l’importance de la surface au sol ; des études architecturales ont démontré des structures tout à fait originales même si les architectes ne sont pas connus.
Alors, oui, certes, les fonds de la culture sont en baisse mais parfois, il serait bon que nos autorités se mobilisent lorsque l’on se trouve confronté à des ruines qui ne sont que des ruines mais qui peuvent parler si tant est qu’on puisse leur donner la parole. Et il serait bon qu’il n’y ait pas de « renvois administratifs ridicules » qui discréditent les instances départementales.

Courage pour le « Vieux château de Guainville ». Au moins aussi intéressant que Château-Gaillard aux Andelys, ce n’est pas peu dire.

Georges LEVET

LE LIVRE DE JEAN MESQUI QUI FAIT AUTORITE

Les seigneurs d’Ivry, Bréval et Anet aux XIè et XIIé siècles. Châteaux et familles à la frontière normande. Edition 2011

* Note – Parmi les plus anciennes et les plus illustres sociétés savantes de France, la Société des antiquaires de Normandie, a été fondée à Caen en 1824 par Arcisse de Caumont (1801-1873). Son appellation se réfère à l’acception alors en usage du mot « antiquaire » car elle a uniquement pour vocation la recherche des antiquités, des études relatives à l’histoire nationale et de la conservation des monuments dans les départements du Calvados, de l’Eure, de la Manche et de la Seine-Inférieure. Antérieure à la loi du Ier juillet 1901, elle reste fidèle à ses orientations primitives et a publié plus d’une centaine de volumes depuis sa fondation.

QUI ETAIT ASCELIN GOEL ?

Ascelin Goël (Godelhus, Gohel, Goheu) dit aussi Goël de Bréval
lieutenant du duc-roi Guillaume de Normandie à Mantes (1087, commande
l’avant-garde), Prévôt d’Ivry, s’empare du château (tour) d’Ivry (-La-Bataille, Eure) sur son suzerain nominal Guillaume de Breteuil et le rend au duc Robert II (1090) ; en guerre avec les Breteuil jusqu’à son mariage, perd la Prévôté d’Ivry, alliéavec Amauri de Montfort pour reprendre la tour d’Ivry, contraint Guillaume
de Breteuil à lui donner Ivry et sa fille (cité 1113 charte du Roi Henry 1
er à Saint-Evroult ; cité 1116 charte à Saint-Martin de Pontoise)
ép. Isabelle de Breteuil (bâtarde de Guillaume de Breteuil)

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