- François Barois, Cléopâtre mourant – 1700 – Marbre – Paris, musée du Louvre. Cléopâtre écarte de son sein le mortel serpent. La tension entre la femme alanguie et la rigidification du corps joue sur un double registre, sensualité et douleur, prétexte pour représenter le plaisir féminin. Photo ©Reza Afchar Naderi
L’exposition Le mystère Cléopâtre, à l’Institut du monde arabe à Paris, a inspiré à notre confrère Reza Afchar Naderi, membre du CA de l’AJP, quelques réflexions sur la représentation de la Reine égyptienne dans l’art occidental.
Les représentations de la reine Cléopâtre par l’Occident relèvent souvent de codes esthétiques propres au continent plutôt qu’à des sources historiques.
Cléopâtre VII, dit Philopatrice – « qui aime son pays » -, se serait donné la mort sous l’effet d’un poison, d’un instrument pointu (épingle à cheveux ?) ou en se faisant mordre par un serpent en même temps que ses servantes. L’affaire remonte à l’année 30 avant notre ère.
Comment s’y retrouver face à une telle distance chronologique ? Le dernier scénario a été retenu avec gourmandise par les artistes, à travers les siècles, jusqu’à notre époque contemporaine.
L’image de la séductrice – avatar d’Eve pécheresse – plus ou moins (parfois très) dénudée, enlacée et mordue au sein par le serpent – incarnant la faute et le désir – ne pouvait que séduire peintres et sculpteurs du continent.
La représentation de l’archétype ira ainsi bon train sous les crayons, burins, pinceaux des esthètes, souvent de cour. Le décor ira du plus dépouillé au plus complexe. Des huiles sur toile la camperont également drapée à l’européenne, bien couverte, dans des robes de facture bourgeoise, en maîtresse de maison. Siècle des lumières oblige !
Entre Eros et Thanatos, la représentation hypersensualisée qui ne dit pas son nom porte en héritage la culpabilité à l’heure même du trépas où la reine jouit de mourir.
Vient alors l’ère contemporaine où le féminisme s’impose avec une nudité volontairement affichée, des femmes en nombre, le masculin bel et bien absent du décor. `
Le serpent est alors réduit à des proportions minimales, accroché à la mamelle comme le serait un « piercing » à l’oreille ou à la narine.
Mais que devient la femme au pouvoir dans tout cela ? La fine gestionnaire politique se ralliant les clergés égyptiens et grecs ? Celle ayant établi une réforme monétaire et imposé des ordonnances en faveur des paysans tout en sanctionnant les fonctionnaires corrompus ?
La représentation artistique a ses raisons que la raison ne connaît pas.
Reza Afchar Naderi
- Giovanni Francesco Guerrieri, Cléopâtre – vers 1630 – Huile sur toile – Fano, Fondazione Cassa di Risparmio di Fano. Peintre de style caravagesque, dans l’Italie baroque, Guerrieri représente avec raffinement un modèle idéal de féminité avec cette Cléopâtre, tragique et sensuelle, tenant l’aspic sur sa poitrine. Sa chemise en dentelles dévoile sa gorge laiteuse mordue par le serpent comme une étrange blessure d’amour. Photo ©Reza Afchar Naderi
- Jean-André Rixens, La Mort de Cléopâtre – 1874 – Huile sur toile – Toulouse, musée des Augustins. Au Salon, la peinture d’histoire affiche son goût pour le sensationnel, l’exotisme et l’érotisme sur fond de colonialisme. Cette fameuse toile académique de Rixens fascine par ses détails tirés d’estampes (bronze d’Isis, pectoral de Ramsès II, lotus, vautour, hiéroglyphes…) et la morbidité sensuelle de la défunte. Photo ©Reza Afchar Naderi
Le mystère Cléopâtre, exposition-évènement : jusqu’au 11 janvier 2026 à l’Institut du monde arabe. www.imarabe.org – 01 40 51 38 38