La Ville de Gentilly rend hommage au génie d’Alexandre Dumas. Connu surtout pour ses romans de cape et d’épée bien moins pour sa passion pour la cuisine, l’écrivain a inspiré le poète Reza Afchar Naderi, membre de l’Association des Journalistes du Patrimoine, pour intervenir avec des « bouts-rimés » durant un dîner organisé dans l’esprit du siècle.
Le repas est organisé par la Société d’Histoire de Gentilly. La date de l’événement n’est pas choisie au hasard. Le 5 décembre (1870) marque le jour anniversaire de la mort d’Alexandre Dumas.
Il fait presque nuit à Gentilly. De l’extérieur, on peut voir les lycéens portant des toques de chef monter et descendre avec les plats. Ce Lycée Professionnel du Val de Bièvre propose des formations dans le domaine de la restauration et de l’hôtellerie. C’est par les élèves de l’établissement que le dîner sera concocté.
Né en Iran, ayant soutenu en France une thèse sur la littérature iranienne, Reza Afchar Naderi réside à Gentilly. Il concilie plusieurs passions : journalisme, traduction, poésie…. Et se dédie au patrimoine… immatériel.
La soirée commence par la projection d’un extrait de moins de cinq minutes issu du film Ridicule réalisé par Patrice Leconte, datant de 1996. Ainsi, les invités seront désormais initiés aux règles des joutes poétiques à la Cour de Versailles au XIXe siècle, selon les mêmes règles et systèmes de rimes employés durant cette soirée par Reza.
L’extrait montre un « performeur » de l’époque qui triche en cachant des bouts de papier avec rimes adaptées dans un éventail. Ne disposant pas de rivaux, Reza se lance un défi à lui-même : recueillir des mots dans le désordre afin de les muer en présence des invités, sans tarder, en bouts-rimés.
Pour lui, c’est un deuxième événement de cette sorte. L’an dernier, il était déjà intervenu durant un dîner organisé dans l’esprit du XVIIe siècle grâce à la même Société d’Histoire de Gentilly. D’ailleurs, suite à cet événement et à la conférence promenade élaborée par la Société, Bernard Combe, un de ses membres, s’est lancé dans l’étude des ouvrages d’Isaac de Benserade, jadis poète et rimeur préféré de Louis XIV.
Un proche « rimeur » du Roi Soleil
Benserade avait côtoyé le Roi en personne, Richelieu et Mazarin. Il était ami de La Fontaine et connaissait Madame de Sévigné, Molière et la sœur de Blaise Pascal. À titre posthume, sa vie et son œuvre ont été mentionnées par Victor Hugo, Edmond Rostand et Alexandre Dumas.
Ayant appris cela, Bernard Combe a décidé de le faire connaître. Il a rédigé à cette fin le livre Isaac de Benserade de l’Académie Française. Poète et grand ami de Louis XIV ; 1612-1691 paru en 2021 aux éditions L’Harmattan. Puis il a créé un site internet dédié à la vie et à l’œuvre du personnage.
Pendant le repas, Bernard Combe prend la parole pour rappeler que Gentilly hébergeait Benserade, d’où l’initiale de son patronyme figurant en bonne place sur le blason de la ville.
La soirée jalonnée par les bouts-rimées réunit, selon un rituel défini les habitants de Gentilly et d’ailleurs, les membres de la Société d’histoire, Madame la maire, Patricia Tordjman accompagnée d’élus de la Ville.
Reza, en chef d’orchestre, s’appuie sur deux ouvrages, à savoir Le Grand Dictionnaire de cuisine qui dévoile au lecteur une facette insolite de la personnalité d’Alexandre Dumas et Le Recueil de bouts-rimés publié par le même auteur devenu cette fois-ci éditeur de poésie.
Reza fait entrer son public dans le monde de la cuisine… rimée. Il précise que Le Dictionnaire a été publié trois ans après la mort de l’écrivain (la guerre franco-allemande de 1870-1871 ayant fait reporter la parution).
Malade à l’époque, Dumas se rend en Normandie. Il note à cette occasion : « Je pourrais (…) léguer à mes enfants, au lieu de mes livres dont ils n’hériteraient que pour quinze ou vingt ans, des casseroles et des marmites dont ils hériteront pour l’éternité »(1). Voici pour les droits d’auteur en matière de cuisine !
Entre « Alouette » et « Rossignol »
Reza mentionne des articles de cet ouvrage. L’un d’eux traite des alouettes et des rossignols observés sous un double prisme : celui symbolique à travers la tragédie shakespearienne et celui culinaire proprement dit (« aimés par les gourmands et chantés par les poètes »). Anouck Gold Damour, Secrétaire de la Société d’Histoire de Gentilly, interprètera le rôle de Juliette lors de la déclamation d’un court passage.
Invité de la soirée, Pierre Lahaix, professeur de français du Lycée, évoque alors un autre article du Dictionnaire, ce dernier consacré au pied et à la trompe de… l’éléphant. D’ores et déjà, les participants savent comment « accommoder le pachyderme ».
Faisant comme s’il se trouvait face à des rimeurs rivaux, Reza s’adresse également aux quatre professeurs de français présents à la soirée en leur demandant de lui proposer les rimes « les plus tordues, les plus populaires et les plus farfelues qui leur viendraient à l’esprit ». Puis, en moins de dix minutes, il compose un quatrain avec « des mots du peuple » qui feront applaudir le public.
Puis, c’est sur l’autre livre d’Alexandre Dumas, son Recueil de bouts-rimés, que les feux de la soirée seront braqués. À l’époque, Le Petit Journal avait encouragé ses lecteurs à « se livrer à l’exercice des bouts-rimés ». L’initiative aboutit à la composition de 220 poèmes par autant de candidats dont un sous la plume de Dumas lui-même. Un des poèmes sera lu par Pascal Guérin, le trésorier de la Société d’Histoire de Gentilly.
Tout au long du dîner, les élèves du Lycée apparaissent avec les plats sophistiqués. Pour les remercier, Reza compose des bouts-rimés à partir de leurs prénoms. Selon la formule articulée sur ses rimes, ils « ne font rien à demi ».
Emmanuel Grégoire, professeur du Lycée en service et communication, remerciera à son tour Reza en mettant en lumière les efforts aboutis de ses élèves : « malgré les difficultés, // on peut y arriver » et réalise alors que ses mots… riment. Il serait d’ailleurs plus juste de dire qu’elles bout-riment…
1. Grivel, C. 2008. Chapitre 4. La grande cuisine. In Alexandre Dumas, l’homme 100 têtes.
Villeneuve d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion
Texte et photos Valeriia Shimakovskaia