Comment rendre un site patrimonial accessible aux personnes en situation de handicap sans le dénaturer ? Quelles sont les obligations, les difficultés, les options et les dérogations possibles ?
En présence d’une quinzaine de membres journalistes et associés de l’AJP, deux architectes spécialisés nous ont parlé de la loi et de leur vaste expérience en la matière, lors du petit-déjeuner de presse organisé par l’Association des journalistes du patrimoine, le 15 novembre dernier.
Les deux intervenants étaient Edouard Pastor, gérant de l’Agence d’architecture Handigo, vingt-cinq ans d’expertise sur les questions d’accessibilité, et Mirabelle Croizier, architecte du patrimoine et spécialiste des jardins historiques depuis quinze ans, architecte associée de l’agence RL&A (Repellin, Larpin & Associés). (Plus d’informations biographiques en bas de cette page.)
Edouard Pastor a posé les bases de la discussion en rappelant les termes de la loi. En 2005 le gouvernement « a voulu faire ce qui ne s’était jamais fait dans le monde » en adoptant la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Son échéancier étant trop optimiste, ce n’est que depuis l’automne 2017 tout propriétaire de site qui accueille le public est obligé d’avoir un agenda d’accessibilité programmé (Ad’AP) détaillant les démarches prévues pour rendre dans les prochaines années son site accessible à ceux en situation de handicap.
Ils ont donc l’obligation de créer un registre d’accessibilité que doit pouvoir consulter un visiteur. Les propriétaires s’engagent à réaliser des travaux dans un délai déterminé, à les financer et à respecter les règles d’accessibilité, « en contrepartie de la levée des risques de sanction », pour citer l’expression du gouvernement. Les chantiers pourront être retardés pour cause de complexité ou de coût, jusqu’en 2025 en jouant les prolongations… ou plutôt 2024, si l’on veut faire bonne mine à l’occasion de Jeux Olympiques et Paralympiques.
Les sites patrimoniaux sont dans cette même obligation, et les journalistes sont en droit de demander à consulter l’Ad’AP d’un site sur lequel ils enquêtent. (Que les détenteurs leur montreront ou pas, c’est une autre question.)
Edouard Pastor rappelle qu’on a pendant très longtemps pensé que l’accessibilité concernait uniquement les handicapés en fauteuil roulant. Or, non seulement les handicaps moteurs sont plus variés (pensons aux personnes âgées, à ceux avec un bébé dans une poussette, à un jeune qui s’est cassé la cheville…) mais la loi s’applique à quatre handicaps ou déficiences : moteur, auditif, visuel, mental. En pensant à l’accessibilité, précise l’architecte, il faut penser non à une personne handicapée mais à « une personne en situation de handicap ou de déficience ».
Un patrimoine est vivant s’il est utilisé
Mirabelle Croizier a cité comme exemple de dérogations le château de La Roche-Guyon, un site patrimonial sur lequel elle a travaillé. Le château est très complexe d’accès et ne sera jamais totalement accessible, dit-elle, ce qui n’empêche pas de chercher des solutions pour rendre des parties importantes accessibles à tous publics. Il faut trouver des compensations, par exemple des élévateurs installés dans les endroits qui sont le moins dommageable possible pour le patrimoine : « Il faut trouver un endroit où on ne démolit rien. On a trouvé un endroit où les planchers étaient récents et moins intéressants » pour caser le dispositif. Cette accessibilité doit être accompagnée de communications au long de la visite, sur le parcours pour éviter le côté : « ah, là, pour vous la visite est terminée ».
L’architecte rappelle qu’un patrimoine est vivant s’il est utilisé.
En faisant des propositions aux propriétaires, dit-elle, « on fait un chiffrage avec un économiste dans notre équipe »
En ce qui concerne les déficiences visuelles, Mirabelle Croizier a travaillé sur la mise en accessibilité du jardin des Tuileries, un projet sur lequel Edouard Pastor a également participé en ce qui concerne l’audit.
L’accessibilité des musées
Pour les musées et autres sites touristiques, dit Edouard Pastor, qui a travaillé entre autres pour le Musée de l’Homme à Paris et qui travaille actuellement pour le Musée de la Marine, les architectes doivent également travailler avec les scénographes. « La question de l’accessibilité qui a commencé avec le fauteuil s’est élargie au point de toucher les contenus… Il y a tous les petits obstacles qu’on ne voit pas, par exemple, et qui ne concernent pas que les personnes handicapées ».
Son cabinet Handigo a audité le Musée de la vie romantique, actuellement en travaux jusqu’au printemps pour la mise en œuvre de l’accessibilité. Il sera créé un élévateur et on va élargir l’escalier contemporain. « On définit avec le maître d’ouvrage là où on peut travailler et là où on ne peut pas. »
Les deux intervenants précisent que le but n’est pas l’accessibilité à tout prix, au risque de ruiner financièrement ou de dénaturer un site. De plus, on doit aussi prendre en compte les questions de sécurité : l’accès des pompiers ainsi que la sécurité anti-attentats.
Ce n’est pas uniquement la prise de conscience du public qui aide la France à avancer en matière d’accessibilité mais également celle des architectes en chef des monuments historiques qui, par le passé, auraient résisté à certaines propositions en déclarant qu’elles dénatureraient le site. Mais les techniques actuelles ainsi que la créativité des architectes et la prise de conscience du public ouvrent la voie à des solutions. « Tout est négociable maintenant » précise Mirabelle Croizier. « On n’est plus sous le coup des bureaux de contrôle, qui ne comprennent pas la problématique. » En amont, Edouard Pastor travaille beaucoup à de formations professionnelles pour sensibiliser des architectes et des maîtres d’œuvres sur l’accessibilité.
Plusieurs membres associés présents à ce petit-déjeuner ont pu exposer la situation d’accessibilité du site patrimonial dont ils sont propriétaires ou gérants. Parmi eux Jean-Claude Ducatte, propriétaire du Fort Saint-Elme à Collioure, a remarqué que malgré sa résistance initiale au coût pour rendre son site patrimonial accessible, une fois les travaux terminés il constate qu’il ne faut pas « présenter tout ça comme une contrainte mais comme un élargissement du champ des possibles des moyens de valorisation de mon patrimoine. On a un retour sur investissement incroyable, et j’ai embauché mon premier employé handicapé, une personne sourde. »
Il y a eu une évolution considérable depuis 40 ans, dit Pastor en mot de la fin. Il reste beaucoup à faire, mais on avance.
Compte rendu de Gary Kraut, membre journaliste et sécrétaire général de l’AJP, avec l’aide précieuse d’Hélène Girard, journaliste membre du Conseil d’administration. Edouard Pastor est le sujet d’un article-entretien en anglais de Gary paru dans le journal franco-britannique The Connexion
ainsi que sur le site américain France Revisited.
Les intervenants :
Edouard Pastor est le gérant de l’Agence d’architecture Handigo, expert sapiteur judiciaire et formateur professionnel à l’accessibilité pour le CSTB, enseignant vacataire à l’ENSAV, 25 ans d’expertise sur les questions d’accessibilité. En octobre 2016, rédaction de la fiche Métier « Accessibilité, des usages au projet», adressée par la MAF à tous les architectes Français affiliés. Nombreuses coordinations de mission de diagnostic et programmation pour la mise en accessibilité d’établissements culturels : Centre Pompidou à Paris, théâtres nationaux (Comédie, TNS, La Colline), 60 lieux de culte – Ville de Paris. Depuis 2015, audit des bâtiments du parlement européen (Strasbourg, Bruxelles, Luxembourg) pour le développement de la stratégie accessibilité.
Il a participé à la création en mars 2017 du Label Accessibilité LA délivré par Certivéa.
Mirabelle Croizier est architecte du patrimoine (école de Chaillot 2005) et spécialiste des jardins historiques (Master Jardins historiques, patrimoine et paysage de l’ENSAV 2012). Elle travaille depuis 15 ans sur des projets de jardins historiques aux côtés d’architectes en chef des monuments historiques. Elle est aujourd’hui architecte associée de l’agence RL&A (Repellin, Larpin & Associés). Elle a travaillé sur des parcs et jardins variés, des sites urbains denses (Jardin des Tuileries à Paris, Jardins du Palais des Papes en Avignon, Jardin du Domaine d’O à Montpellier, Plateau des Poètes à Béziers) à des jardins plus particuliers comme celui de l’Abbaye de Noirlac ou celui du Château de la Roche-Guyon.