Le site archéologique d’Ererouyk et le village d’Ani Pemza en Arménie, le Couvent Saint Antoine de Padoue en Estrémadure en Espagne, la Forteresse maritime de Patarei à Tallinn en Estonie, l’aéroport d’Helsinki-Malmi en Finlande, le pont Colbert de Dieppe en France, le Kampos de Chios en Grèce, et l’ancienne ville d’Hasankeyf et ses environs en Turquie ont été retenus comme les « 7 sites les plus menacés » du patrimoine en Europe en 2016. Explications.
Europa Nostra, la principale organisation européenne œuvrant pour la préservation du patrimoine, et l’Institut de la Banque européenne d’investissement (Institut de la BEI) ont annoncé la sélection à l’occasion d’un événement public tenu à l’Ateneo Veneto à Venise en Italie.
Ces joyaux du patrimoine culturel en Europe sont sérieusement menacés, pour certains en raison d’un manque de ressources ou d’expertise, pour d’autres suite à une négligence ou une planification inappropriée.
Il est donc nécessaire d’agir d’urgence. Des missions d’experts sur les sites vont être organisées et des plans d’actions réalisables seront soumis d’ici la fin de l’année. Le programme des « 7 sites les plus menacés » bénéficie du soutien du programme Europe Créative de l’Union européenne, dans le cadre du projet de réseau européen d’Europa Nostra « Mainstreaming Heritage ».
Plácido Domingo, Président d’Europa Nostra, a affirmé : « Cette liste met en lumière de rares exemples du patrimoine culturel et naturel d’Europe qui encourent le risque d’être perdus à jamais. Les communautés locales s’emploient fermement à essayer de sauver ces testaments de notre histoire partagée mais ont besoin d’un large soutien. Au nom d’Europa Nostra, j’encourage les parties prenantes nationales et
européennes, à la fois publiques et privées, à unir leurs forces aux nôtres afin d’assurer un futur prometteur à ces sites. Sauver notre patrimoine commun apporte d’innombrables bénéfices sociaux et économiques, non seulement pour les régions et pays concernés, mais pour l’Europe dans son ensemble, ainsi que le reconnaissent de plus en plus les Institutions de l’UE et comme il est clairement démontré dans le récent rapport « Le Patrimoine Culturel compte pour l’Europe ».
Europa Nostra et l’Institut de la Banque européenne d’investissement, en coopération avec d’autres partenaires et les organisations ayant soumis les nominations, visiteront les 7 sites sélectionnés et iront à la rencontre des principales parties prenantes dans les prochains mois. Des experts en patrimoine et en finance
leur fourniront des conseils techniques, identifieront de possibles sources de financement et mobiliseront un large soutien.
Les « 7 sites les plus menacés » en 2016 ont été choisis par le Comité exécutif d’Europa Nostra parmi les 14 sites présélectionnés par un panel de spécialistes en histoire, archéologie, architecture, conservation, analyse de projet et finance. Les nominations ont été soumises par la société civile ou des organismes publics faisant
partie du vaste réseau d’organisations membres et associées d’Europa Nostra à travers toute l’Europe.
Le programme des « 7 sites les plus menacés » a été lancé en janvier 2013 par Europa Nostra avec l’Institut de la BEI en tant que partenaire fondateur et la Banque de Développement du Conseil de l’Europe en tant que partenaire associé. Il s’inspire d’un projet similaire fructueux géré par le National Trust for Historic Preservation, un organisme américain pour la sauvegarde du patrimoine.
Les « 7 sites les plus menacés » en 2016
Site archéologique d’Ererouyk et village d’Ani Pemza, ARMENIE
Ererouyk est un superbe monument d’architecture paléochrétienne, une architecture distincte et d’une grande diversité souvent négligée de nos jours, sinon délibérément détruite, dans la plupart de ses régions d’origine du pourtour de la Méditerranée orientale. Ererouyk représente bien l’architecture religieuse arménienne, comptée parmi les plus sophistiquées et innovantes au monde. Le monument datant du 6
ème siècle est situé sur un plateau rocheux près de la rivière constituant la frontière avec la Turquie, à proximité de l’ancienne capitale Ani. Tout autour de la basilique à trois nefs subsistent des restes de monuments funéraires et autres monuments importants, qui méritent d’être étudiés immédiatement et préservés. Ces interventions sont cruciales à la compréhension d’un règlement dans un cadre multi-ethnique et multiculturel pendant le MoyenAge, comme démontré par des fouilles archéologiques pertinentes qui nécessitent aussi d’être étudiées et présentées.
Le site est en danger permanent en raison de tremblements de terre, danger amplifié par l’état du monument.
Cependant, si il est préservé et bien géré, il a le potentiel de donner une nouvelle vie à l’ensemble de la région et d’attirer de nombreux visiteurs, avec le village voisin d’Ani Pemza construit en 1926 et typique de l’ère soviétique, qui pourrait potentiellement être utilisé comme centre de tourisme culturel. Le Centre des Etudes
et de la Documentation de la Culture Arménienne en Italie (The Centre of Studies and Documentation of Armenian Culture) a soumis la nomination pour la liste des « 7 sites les plus menacés » en 2016.
Forteresse maritime de Patarei à Tallinn, ESTONIE
Patarei est un ensemble de bâtiments, initialement édifié comme forteresse navale sous règle tsariste entre 1829-1840, transformé ensuite en prison entre 1920 et 2005. Il renferme des monuments aux victimes à la fois des régimes communiste et nazi. Le site est ainsi étroitement lié aux douloureux évènements de l’histoire récente en Estonie. Sa détérioration rapide est due à un manque d’entretien face à de rudes conditions climatiques.
La Société pour le Patrimoine Estonien (The Estonian Heritage Society), qui a soumis la nomination pour la liste 2016 des « 7 sites les plus menacés », propose la conversion de la Forteresse maritime de Patarei en un élément central du littoral adjacent, combiné au port pour hydravions de Tallinn, lauréat du Grand Prix du
Prix du patrimoine culturel de l’UE / Concours Europa Nostra en 2013, ainsi qu’au Centre Historique de Tallinn, et à la Forteresse Suomenlinna à Helsinki, tous deux inclus sur la Liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Si restaurée, la forteresse serait utilisée en tant que centre pour les industries culturelles et créatives, ainsi qu’en « lieu de mémoire ».
Aéroport d’Helsinki-Malmi, FINLANDE
L’aéroport d’Helsinki-Malmi est un rare exemple encore subsistant d’architecture aéronautique d’avant la Seconde Guerre Mondiale. Il fut construit en 1940 à l’occasion des Jeux Olympiques devant être organisés à Helsinki puis annulés en raison de la guerre.
L’aéroport de Malmi, avec son hangar, son terminal et ses pistes d’atterrissages d’origine, est encore utilisé et compte près de 40 000 atterrissages par an, offrant le seul service d’horaires flexibles à l’international dans un rayon de 150 kms. La zone a été déclarée comme environnement culturel d’importance nationale par le
Conseil National des Antiquités de Finlande. Son étendue de prairies possède une biodiversité considérable, si bien que le sentier en pleine nature autour du site est très populaire parmi les visiteurs locaux.
Le nouveau Plan Général de la Ville d’Helsinki propose de remplacer l’aéroport par des immeubles résidentiels dont la construction est prévue pour le début des années 2020, tandis que l’Etat envisage de retirer ses opérations de l’aéroport d’ici fin 2016. Suite à la nomination pour la liste 2016 des « 7 sites les plus menacés », Europa Nostra Finlande, soutenu par les Amis de l’Aéroport de Malmi (Friends of Malmi
Airport), recherche un soutien de toute urgence afin de persuader la ville d’Helsinki et le nouveau gouvernement de Finlande de revoir ses décisions antérieures, de conserver l’aéroport historique et éventuellement de proposer l’inscription du site sur la Liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO en raison de l’architecture fonctionnaliste distincte construite à Helsinki pour les Jeux Olympiques, idée avancée par le Conseil National des Antiquités de Finlande.
Pont Colbert de Dieppe, Normandie, FRANCE
Le Pont Colbert, construit en 1889, est contemporain de la Tour Eiffel et fonctionne toujours avec son mécanisme à pression hydraulique d’origine. Traversé chaque jour par quelque 12 000 véhicules et 1 800 piétons, il représente un exemple important des prouesses techniques et architecturales de la fin du 19ème siècle. Il pivote 6 à 8 fois par jour en fonction du trafic portuaire et garantit une plus grande fiabilité que la
plupart des ponts modernes.
Bien qu’étant l’un des premiers exemples d’architecture « tangible », un souvenir vivant de l’histoire culturelle et sociale de Dieppe, et potentiellement une attraction touristique, son propriétaire, le Syndicat Mixte du Port de Dieppe (SMPD), prévoit de le démolir pour le remplacer par une nouvelle structure en 2017.
Conformément à une forte recommandation du Comité de Sauvegarde du Pont Colbert de Dieppe, la Fondation du Patrimoine a soumis la nomination pour la liste des « 7 sites les plus menacés » en 2016. Le Comité, qui est aussi largement soutenu par l’opinion publique locale, a sollicité une action de toute urgence afin d’empêcher la démolition en demandant la classification du pont en tant que Monument Historique,
avançant l’argument que sa restauration sera architecturalement, socialement et écologiquement préférable à une démolition, et par conséquence à la modernisation de son mécanisme.
Kampos de Chios, île de Chios, GRECE
Le Kampos de Chios est un espace semi-urbain, semi-rural où les familles les plus aisées de l’île ont construit de magnifiques demeures en pierre locale, encerclées de terres de vergers d’agrumes. Les 200 propriétés et tours qui subsistent, associées avec de hauts murs en pierre séparant les propriétés des ruelles étroites aux
alentours, créent un paysage poétique.
Unique exemple encore persistant d’un ordre colonial génois d’autrefois, et bien que fréquemment reconstruit depuis le 14ème siècle en raison de tremblements de terre (tel qu’en 1881), le Kampos se trouve désormais en danger. Quelques demeures ont été adéquatement restaurées soit en maisons ou en hôtels de charme (la
demeure Antouaniko a reçu le Prix du patrimoine culturel de l’UE / Concours Europa Nostra en 2015).
Néanmoins, en dépit de deux décrets officiels de préservation, la protection s’est avérée inappropriée. Entretemps, le remplacement des agrumes par la plantation de pommes de terre et légumes consommant plus d’eau a entrainé de sérieux problèmes quant à la qualité et la quantité d’eau. D’autres menaces sont également grandissantes : la circulation automobile et la démolition partielle de murs d’enceinte en pierre.
Ce site d’une beauté fascinante requiert un inventaire de ses bâtiments distingués et un financement à longterme des travaux de conservation afin de demeurer en tant que modèle remarquable du patrimoine culturel européen grandement varié.
Elliniki Etairia – La Société pour l’Environnement et le Patrimoine Culturel en collaboration avec La Société des Amis du Kampos de Chios (The Society of Friends of the Kampos of Chios) a désigné l’ensemble pour les « 7 sites les plus menacés » en 2016.
Couvent Saint Antoine de Padoue, Estrémadure, ESPAGNE
Le Couvent Saint Antoine de Padoue, près de Cáceres, comprend une ancienne église gothique construite en 1476 à laquelle ont été ajoutés quelques éléments à la période de la Renaissance, et plus particulièrement, d’autres durant la période entre 1656 et 1661. Le couvent est situé dans le village de Garrovillas de Alconétar,
qui abrite une longue histoire et une richesse monumentale menacées de désuétude, puisque ses habitants partent vers de plus grandes villes.
Compte tenu de l’importance et de l’état critique du site, mais également du manque de ressources dans la situation économique actuelle, Hispania Nostra, qui a soumis la nomination pour la liste 2016 des « 7 sites les plus menacés », propose d’utiliser un maximum de bénévoles dans le but de restaurer le couvent et autres
monuments aux alentours. Cette action devrait constituer un exemple des plus inspirants d’une vaste participation sociale dans un effort continu de protéger notre patrimoine, une tendance aussi prometteuse que nécessaire si la richesse de la tradition culturelle européenne se doit d’être préservée.
Ancienne ville d’Hasankeyf et ses environs, TURQUIE
Hasankeyf, situé sur les rives du Tigre, est l’un des sites architecturaux et archéologiques les plus importants en Europe, se prévalant d’une riche biodiversité et de 12 000 ans d’histoire de l’humanité. Des chefs-d’œuvre de l’architecture islamique, datant du 12ème au 15ème siècle EC, font de la ville l’un des témoins les mieux
préservés de la culture urbaine de l’époque seldjoukide, plus particulièrement des dynasties des Artukides et des Ayyoubides.
Petite ville au patrimoine immense, Hasankeyf attire déjà environ 500 000 visiteurs chaque année, un nombre prévu à la hausse. Compte tenu de son importance historique, architecturale et économique pour la région, l’opinion publique soutient sa préservation. La zone a été déclarée comme Site Archéologique de Premier
Ordre par le Conseil Suprême des Monuments de Turquie en 1978 et a été placé sous la protection de la Direction Générale des Antiquités et des Musées du Ministère de la Culture depuis 1981.
La menace urgente qui pèse sur Hasankeyf provient du projet de barrage à énergie hydroélectrique Ilisu, qui, si mis en œuvre comme prévu, submergerait le site sous 65 mètres d’eau d’ici 2018. Le gouvernement turc a pour ambition de sauver une sélection de monuments et de développer le site en destination prestigieuse.
Toutefois, la préservation d’Hasankeyf à son emplacement d’origine pourrait s’avérer plus profitable économiquement que le barrage, sans mentionner sa signification culturelle incomparable pour la Turquie.
La Fondation pour la Sensibilisation Culturelle (Cultural Awareness Foundation) a nominé Hasankeyf pour les « 7 sites les plus menacés » en 2016 dans le but de le protéger et de promouvoir le dialogue sur la conservation du patrimoine et la durabilité.
De plus, Europa Nostra et l’Institut de la BEI, conformément à la forte recommandation de leur panel consultatif international de spécialistes, ont décidé que la Lagune de Venise en Italie devait être déclarée comme le site le plus menacé en Europe.
Lagune de Venise, ITALIE
Venise et la civilisation vénitienne n’existeraient pas sans la lagune. Peu de sites historiques au monde démontrent si clairement l’interdépendance entre l’humanité et notre environnement, entre la nature et la culture.
Toutefois, au moment où le monde contribue à la conservation des monuments dans la ville, un développement non-durable enraye la branche matérielle sur laquelle Venise s’est toujours reposée.
Italia Nostra a nominé la Lagune de Venise pour les « 7 sites les plus menacés » en 2016 dans le cadre d’un plan à long-terme pour sauver à la fois la lagune et la ville. Il est proposé dans le court-terme : l’exclusion des gros navires de croisière de la lagune ; la suspension de nouveaux projets de dragage des canaux ; l’annulation des principaux projets de port commercial ; et la reconstruction des marais salants. Puis, à longterme : le transfert des principales activités portuaires à Trieste, le renouvellement des zones industrielles abandonnées et polluées de Marghera en un parc scientifique et technologique ; ainsi que des initiatives pour attirer des résidents et des entreprises à Venise.
Les défis sont considérables, exigent une combinaison rare de sensibilité environnementale, sociale et à la conservation. C’est pour cette raison qu’Europa Nostra a approuvé la nomination de la Lagune de Venise en tant que catégorie a part.