Quand la guerre d’Indochine était aussi une guerre des images : patrimoine historico-militaire

L’image n’est pas seulement l’empreinte figée d’une mémoire ou d’un passe révolu. porteuse d’une incontestable dimension patrimoniale, elle se mesure aujourd’hui a l’aune d’une conscience politique qui nous aide a mieux en décrypter la portée. Retour sur le Festival de Court Métrage de Clermont-Ferrand.

Non content de mettre au jour des images souvent inédites, d’explorer un passé dérangeant, d’exhumer des trésors cinématographiques, de remettre sur le devant de la scène une mémoire en images oubliée pour avoir été trop longtemps censurée, le Court d’Histoire pousse les murs. En effet, rattrapé par son succès, cette manifestation septième du nom organisée dans le cadre du 38e Festival de Court Métrage de Clermont-Ferrand, qui a donné le clap de fin dimanche 14 février, a dû doubler ses capacités d’accueil du public.

Aprè,s entre autres, la guerre d’Algérie, le plan Marshall, la Libération de Paris, et La guerre froide, le dernier opus de la série, Spectrale Indochine, abordait un conflit que la mauvaise conscience d’état tend à résumer à la défaite de Diên Biên Phu avec l’objectif de transformer une reddition humiliante en résistance héroïque. Focalisation trop commode afin de mieux occulter tout un passé : l’arbre d’une déroute qui cache la forêt d’un siècle et demi de colonialisme qui se refuse à dire son nom. C’est ce que mettait particulièrement en lumière « Problèmes d’extrême orient N°1 », documentaire de 1953, que l’on peut sans forcer le trait qualifier de propagandiste. Les origines de la présence française en Indochine dès la fin du 18e siècle, s’y voient reléguées au rang de « hasard de l’histoire », autrement dit de simple anecdote.
Le déni est flagrant après le traumatisme du second conflit mondial. La France qui vient de se libérer du nazisme ne peut décemment pas passer à son tour pour une puissance d’occupation. Dernier mot tabou remplacé par « protection » d’un régime ami. De la même manière qu’il convient d’entendre plus justement invasion en filigrane de « pénétration » et colonisation en lieu et place d’« échange ». « Nous avons libéré Paris et Strasbourg, nous libérerons l’Indochine » justifie la voix off.
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Version franco-française de la Pax Romana. On comprend que le contrôle absolu de l’image était une nécessité absolue. Si le caractère propagandiste du second documentaire, « Le Poste » est tout aussi évident, l’état-major du commandement en chef en Extrême-Orient le limitait cependant à une diffusion plus confidentielle auprès des officiers.
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On y retrouve, décliné sur un mode beaucoup plus martial, le même indéfectible optimisme d’une politique colonialiste sûre de son bon droit.
Delphine Robic-Diaz (*) qui animait le débat qui suivait la projection, soulignait cette incontestable « dimension patrimoniale du film militaire ». Car le commanditaire n’est autre que le Service cinématographique des Armées et parmi les réalisateurs on relève le nom d’un certain Pierre Schoendoerffer, l’auteur de « La 317e section » et du « Crabe tambour ». Enfin, deux courts métrage d’animation récent mettaient l’accent sur les blessures d’un passé qui ne sont toujours pas refermées faute d’avoir été nommées.


(*) Maître de conférence en Etudes cinématographiques et audiovisuelles à l’Université Paul Valéry-Montpellier 3, elle est spécialiste du cinéma colonial et post-colonial français et auteur de La guerre d’Indochine, Images d’un trou de mémoire (PUR).

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