Dans le prolongement de notre interview de Monsieur Lefèvre, Architecte en Chef des Monuments Historiques (ACMH), en juillet, nous vous proposons aujourd’hui de lever le voile sur la fonction d’Architecte des Bâtiments de France (ABF), Architecte et Urbaniste de l’Etat, chef du Service Territorial de l’Architecture et du Patrimoine (STAP) d’un département.
Transmis par Hugues de Tappie, membre de l’AJP
A ce titre, un ABF est le garant de la conservation et de la qualité de restauration des Monuments Historiques, ainsi que des espaces protégés, de type loi Malraux.
Monsieur Clarke de Dromantin, ABF du Loiret, a bien voulu répondre à nos questions.
JedefiscaliseHugues de Tappie (Jedefiscalise.com) :
Monsieur Clarke de Dromantin, sur la distinction entre l’ACMH et l’ABF établie par Monsieur Lefèvre dans un article que nous avons publié récemment, souhaitez-vous apporter des commentaires ?
Xavier Clarke de Dromantin, ABF :
On peut préciser que les ABF appartiennent au corps des Architectes Urbanistes de l’Etat (AUE), né en 1993 de la fusion du corps des ABF avec celui des Urbanistes de l’Etat. A ce titre ils ont depuis une double formation. Le corps des ABF n’existe plus en tant que tel : il a été remplacé par une fonction. On est ABF dans un STAP, avec une spécialité « patrimoine architectural, urbain et paysager », mais au cours d’une carrière on peut être amené à occuper d’autres fonctions, notamment dans la spécialité « urbanisme-aménagement ».
HT : D’ailleurs, si vous êtes fonctionnaires du ministère de la Culture, les AUE sont un corps interministériel et relèvent de différents codes. Pouvez-vous nous éclairer sur cette organisation ?
XCD : Nous relevons en effet du ministère de la Culture et de celui de l’Ecologie. Dans notre parcours professionnel nous pouvons passer de l’un à l’autre. Et nous travaillons principalement sur trois codes, ceux du Patrimoine, de l’Urbanisme et de l’Environnement. Depuis les année 60 et les secteurs sauvegardés, la tendance est à la retranscription du code du Patrimoine dans celui de l’Urbanisme, la protection du patrimoine étant considérée comme un enjeu du développement urbain. Pour l’Environnement nous intervenons sur les sites inscrits et classés et la préservation des espaces naturels.
HT : On voit que votre champs de compétences est très important, est-il possible de le définir ?
XCD : On peut citer trois grandes catégories :
- Le contrôle, à savoir la gestion des espaces protégés. Il y en a cinq : les abords des Monuments Historiques, les sites inscrits, les sites classés, les secteurs sauvegardés et les AVAP (et ZPPAUP, ancienne version des AVAP). Chaque fois qu’il y a une demande d’autorisation d’urbanisme, les STAP vont donner un avis au titre de la préservation et de la valorisation de ces espaces protégés.
- Le conseil, en faveur de la valorisation du bâti ancien et de la promotion de la qualité architecturale et urbaine. Le STAP émet des avis sur les documents de planification urbaine, les SCOT (Schéma de Cohérence Territoriale) et PLU (Plan Local d’Urbanisme). Ces avis sont purement consultatifs.
- – La conservation, pour les Monuments Historiques, en lien avec les différents acteurs concernés, notamment la Conservation Régionale des Monuments Historiques (CRMH) et l’ACMH. Il s’agit d’assurer le suivi des MH, des états sanitaires et des travaux en cours. Chaque fois qu’il y a une demande de travaux sur ces immeubles, elle fait l’objet d’une autorisation du Préfet de Région, après avoir été instruite par l’ABF, la CRMH et l’ACMH. L’ABF est également Conservateur de la cathédrale sur son territoire, s’il y a lieu (l’État est propriétaire de 87 cathédrales). Il en est responsable pour les travaux d’entretien, les travaux de restauration étant assurés par un ACMH. A ce titre, je suis Conservateur de la Cathédrale Sainte-Croix d’Orléans. En revanche, ce ne sont plus les ABF mais le Centre des Monuments Nationaux (CMN) qui est en charge de l’entretien des autres Monuments Historiques appartenant à l’Etat, avec ses propres Architectes Urbanistes de l’Etat.
HT: A propos de votre mission de contrôle, pouvez-vous nous préciser la notion d’avis ?
XCD : Quand il y a une demande d’autorisation de travaux dans un espace protégé, il y a systématiquement un « avis » de l’ABF. Dans les espaces protégés avec un règlement, à savoir les secteurs sauvegardés et les AVAP, il s’agit d’un « avis conforme » (il fait autorité), mais il doit être fondé sur l’application du règlement local.
Aux abords (500 m) des Monument Historiques, il est conforme s’il y a un lien de visibilité avec le monument protégé (notion de covisibilité). Sinon c’est un « avis simple », que l’autorité compétente, en général la mairie, n’est pas obligée de suivre.
Il existe une possibilité de recours de la part du maire et du demandeur s’il est autre (ASL ou particulier à l’origine de la demande de travaux), pas par un tiers.
HT : Vous êtes attaché à un département. Êtes-vous généralement le seul ABF, et pouvez-vous nous dire environ combien de personnes travaillent dans votre STAP et combien de dossiers sont traités chaque année, et sous quel délai ?
XCD : En moyenne on est 1,5 ABF par département. Dans le STAP du Loiret, on est 8 personnes, pour moitié agents administratifs, l’autre moitié étant composée d’ingénieurs et de techniciens. Dans un département comme le Loiret, nous émettons 3 à 4 000 avis par an. Pour l’ensemble de la France il y a environ 400 000 avis par an, donnant lieu à quelque 60 recours.
Auparavant les délais d’instruction du STAP pour les Permis de Construire aux abords des MH étaient de quatre mois maximum. En juillet il a été ramené à deux mois au plus.
HT : Même question qu’à Monsieur Lefèvre, ACMH. On entend dire que l’ABF est déconnecté des réalités économiques et pratiques, imposant par exemple de refaire des huisseries à l’identique, quel qu’en soit le coût, refusant du double vitrage, etc. Pouvez-vous nous dire ce qu’il en est réellement ?
XCD : Dans la grande majorité des cas, il n’y a pas de difficulté pour remplacer l’existant. Si toutefois on est en présence d’une menuiserie très ancienne, et qu’elle peut être restaurée, on la conserve. On peut alors envisager si besoin une double fenêtre, en retrait. Si l’existant présente un intérêt particulier, mais peut ou doit être remplacé, on demande un remplacement au plus proche des dispositions d’origine, que ce soient les sections, les montants, etc. Et en général on arrive à poser un double vitrage. J’ajoute que dans la construction traditionnelle, on a des systèmes de flux d’air qui ne sont pas du tout les mêmes que dans les constructions actuelles, conçues totalement étanches mais nécessitant du coup une ventilation forcée. Aussi, même d’un point de vue thermique, il ne sera pas toujours pertinent d’installer un double vitrage.
HT : Dans le cadre d’une restauration, intervenez-vous sur les aménagements intérieurs ?
XCD : Les Monuments Historiques font l’objet d’un classement ou d’une inscription sur des éléments précis, intérieurs et/ou extérieurs. Cela est stipulé par un arrêté de protection. Quant aux immeubles en secteur sauvegardé, certains sont dits « repérés », d’autres non. Dans les immeubles « repérés » et dans les MH dont l’intérieur est protégé, nous effectuons des contrôles sur les aménagements. A défaut non.
HT : Lorsqu’un particulier, propriétaire d’un Monument Historique ou dans un espace protégé (secteur sauvegardé, ZPPAUP, AVAP, etc.) souhaite effectuer des travaux, doit-il s’adresser au STAP de son département, qui ferait office de guichet unique ?
XCD : Pour les espaces protégés (loi Malraux), le guichet unique est la mairie. Elle doit mettre à disposition de l’intéressé les règles écrites du secteur concerné. Les MH inscrits relèvent du Permis de Construire, à déposer en mairie. Contrairement aux immeubles classés, pour lesquels il convient d’adresser au STAP un formulaire Autorisation sur Classés (AC).
HT : Enfin, dernier point, est-ce au STAP que l’on doit s’adresser pour obtenir des subventions ?
XCD : C’est la CRMH (région) qui gère les demandes de subvention, en liaison avec le STAP (département).
HT : Merci infiniment, Monsieur Clarke de Dromantin, d’avoir bien voulu répondre à nos questions.