- Pique-nique « tiré du sac » sous la tonnelle du jardin de la Maison Cocteau (photo Hao Luo)
Vendredi 21 juin qui inaugure l’été, pour notre pique-nique annuel, une dizaine de membres de l’AJP ont trouvé refuge à Milly-la-Forêt, dans la fraîcheur arborée de la demeure de Jean Cocteau, et se sont ressourcés à la chapelle Saint-Blaise-des-Simples qu’il a décorée. Le récit de cette journée par Catherine Lalanne, qui l’a organisée, et la vidéo de Hao Luo, membre du CA.
- Devant l’entrée de la Maison, labellisée « Maison des illustres »
« Toute notre époque confuse désencadre les âmes qui flottent dans le vide. Or, j’ai la chance d’avoir découvert à Milly, la chose la plus rare au monde : un cadre » écrit Jean Cocteau quand il acquiert en 1947 la maison du Bailly avec son compagnon Jean Marais. Et quel cadre ! Visite privée de rêve le jour de Saint-Jean, pour notre association, du havre de verdure dans lequel s’est réfugié le couple après le tournage de La belle et la bête. Dès l’entrée encadrée de deux tourelles en briques, on est saisi par l’âme des lieux. Une âme que Muriel Genthon, directrice de la maison, depuis 2020, s’emploie à mettre en valeur, du salon de l’artiste au verger en passant par le mobilier et les pièces encore inaccessibles au public, tel son atelier. Redonner à la maison son aspect d’origine, proposer une approche intime, moins muséale que celle choisie par Pierre Bergé en 2010, tel est le projet de cette directrice passionnée et très investie.
- De g. à dte : P. Gautier Mornas, Muriel Genthon, Catherine Lalanne.
« Soutenu par Edouard Dermit, dit Doudou, le « fils » adoptif qui a partagé la vie du maître des lieux jusqu’à sa mort, Cocteau n’est pas resté longtemps inactif à Milly. Terre de culture des plantes médicinales, le village possédait une léproserie au 12ème siècle. Et une petite chapelle pour les malades. A la demande du maire de Milly, Cocteau va la décorer. C’est lui qui choisit le thème des simples. Cocteau aime la nature, les fleurs, les chats. Perclus de rhumatismes, il est sensible aux médecines douces – Maurice Mességué, pionnier de la phytothérapie lui rendra d’ailleurs visite sur le chantier pour soulager ses maux avec des plantes locales-. Cette saison, nous exposons dans les anciennes chambres du 1er étage, les dessins préparatoires des fresques de la chapelle souvent réalisés au feutre ou au stylo bille, d’un trait, avec un geste d’une grande pureté ».
» A l’époque, Cocteau a déjà peint les murs de la chapelle Saint-Pierre de Villefranche-sur-Mer, s’inspirant de l’Apôtre Pierre, patron des pêcheurs. A Milly, c’est un véritable herbier géant, faisant écho au jardin entourant la chapelle, qu’il peint, des plantes surgies du sol entourent un Christ guérisseur en chef » renchérit le père Gautier Mornas, expert de l’œuvre graphique de l’artiste qui accompagne notre association dans sa visite. Préalablement dessinés, ses motifs furent projetés sur les murs de la chapelle Saint-Blaise pour être peints. « Même si Cocteau, exigeant et insatisfait du résultat, a beaucoup retouché au fusain, hissé sur les échafaudages », poursuit Muriel Genthon.
Les lieux demeurent habités par l’esprit du poète esthète. Dans cet écrin décoré par l’antiquaire Madeleine Castaing, Cocteau écrit, lit, dessine, Un abri créatif peuplé d’objets exotiques, mystérieux et raffinés. De soleils et miroirs dorés à la feuille d’or offerts par Coco Chanel, de faons en bronze, cadeaux de la mécène Francine Weisweiller dont il a décoré la maison Santo Sospir à Saint-Jean-Cap-Ferrat, de statues antiques, de pipes à opium, témoins de son addiction, d’une immense dent de narval, du moulage d’une main de Chopin sur son bureau… Soutenue par une programmation culturelle inventive, expositions anglées, samedis musicaux au jardin, la maison reçoit dix mille visiteurs par an de mai à octobre. « Cocteau atteint enfin la reconnaissance qu’il mérite. A son époque, l’artiste n’appartenait à aucun courant identifié, son œuvre protéiforme a été mal perçue. Certains traitaient de touche à tout celui qui excellait dans le dessin, la peinture, l’écriture, le théâtre, le cinéma. Alors que pour Cocteau l’art était total ; il abordait chaque discipline avec le même regard, celui du poète » conclut Muriel Genthon.
Guidés par Gautier Mornas, nous rejoignons à pied la chapelle Saint-Blaise-des-Simples située à 800 mètres du domaine. « Je ne suis pas peintre de chapelle » déclarait Jean Cocteau qui en a pourtant embelli plusieurs, celle de la Vierge de Notre-Dame de Jérusalem à Londres jusqu’aux vitraux de l’église Saint Maximin à Metz.
Saint-Blaise-des-simples, dont la zone basse, rongée par l’humidité qui grignote les fresques, est en cours de restauration. Elle ouvrira à la mi-juillet mais on peut déjà l’admirer, dans l’entrée aménagée pour les visiteurs. Cocteau a su réveiller cette belle endormie avec sa fraîcheur et sa poésie. « Depuis la frise en M de la fameuse menthe de Milly qui orne le porche jusqu’au Christ aux épines qui souffre de la douleur des hommes derrière de l’autel, des tiges de Jusquiame, Belladone, Valériane, Arnica, Renoncule, Colchique, Digitale, montent comme des prières vers le ciel et guident le visiteur de l’humus de la condition humaine au ciel de la guérison. Au-dessus du martyre du Christ, Cocteau peint les soldats romains médusés découvrant le tombeau vide, un archange majestueux tenant dans ses mains son linceul, Jésus debout, la main auréolée montrant du doigt le ciel. C’est Dieu vers lequel il faut s’élever nous dit-il » précise Gautier Mornas qui a découvert Jean Cocteau à l’adolescence à travers sa correspondance avec le philosophe et théologien chrétien Jacques Maritain.
« Sous l’influence de Maritain, le dandy subversif s’est converti en1925 comme bien d’autres intellectuels et artistes de l’époque. Une conversion partielle qui ne l’empêchera pas de retomber dans ses travers mais la Grâce aura touché cet enfant terrible » explique-t-il, s’appuyant sur des extraits de lettres du poète. Jean écrit à Jacques : « Il existe en moi un espace très vague, mais intact et blanc comme neige » et aussi « Les écrivains ont une âme, il est triste de devoir le rappeler à certains catholiques ; quand même parfois, elle ne se respecterait pas elle-même, notre âme a droit au respect. Il importe de ne jamais taire la vérité, mais il importe aussi de ne pas rejeter du côté du diable tout ce mouvement de l’art et de la poésie qui cherche la lumière »
Cocteau n’a cessé de questionner le monde « de rechercher la pureté pour étancher sa soif de Vérité insatiable » conclut Gautier. Il repose au centre de la chapelle, sous une grande dalle avec son nom et ces simples mots de fidélité, final de l’Évangile de Mathieu : « Je reste avec vous ». Et une part de nous-même avec lui.
Catherine Lalanne
La vidéo de Hao Luo, membre du CA et Web journaliste
https://weibo.com/tv/show/1034:5180462331789398?from=old_pc_videoshow